31 octobre 1999. Fabien Galthié (demi de mêlée, 65 sélections) n'a rien oublié de cette incroyable journée. Il en a même fait un point central de ses conférences dédiées au « team building » qu'il balade partout en France, déroulant face à un parterre de chefs d'entreprise et de cadres cette histoire fabuleuse qui a fait la légende de l'équipe de France.

"Jamais personne ne l'a refait ; aucune équipe n'a mis 43 points aux All Blacks depuis ce jour-là."

Fabien Galthié

« Les Néo-Zélandais sont invaincus depuis deux ans », raconte l'ancien capitaine de l'équipe de France. « On les a joué en juin (1999, ndlr) trois mois avant : on a pris 60-5 à Wellington, on a pris 45 contre les Blacks B et on a perdu contre les juniors. C'est la communauté que l'on va affronter. En face, on a deux grands chelems au compteur (97 et 98), mais contre les nations du sud on prend des trempes, on n'y arrive pas. »

La semaine précédente, la France est sortie victorieuse de son quart face à l'Argentine 47-26 à Lansdowne Road. « On vient de battre l'Argentine à Dublin et on sait qu'on va affronter les All Blacks qui vont rencontrer l’Écosse le lendemain, mais on n'a pas de doute. Ils ont collé 40 points à toutes les équipes et même en match d'ouverture contre l'Angleterre », se souvient Galthié. Effectivement, les Blacks remportent le match 30-18 à Murrayfield.

La naissance du debrief

« Dès le dimanche matin, on recherche les images de la branlée qu'on avait prise trois mois avant. C'est quelque chose que l'on ne faisait jamais. Quand on prend une branlée, on ne regarde pas, on oublie. Mais là, on s'est dit qu'il y avait peut-être des trucs intéressants à voir. Aujourd'hui, ça s'appelle le debrief, c'est quelque chose qu'on a appris à faire. Et là, on se rend compte qu'on n'avait rien fait, qu'on rendait le ballon tout le temps et qu'en défense on n'avait fait que reculer. Et contre les All Blacks, lorsque tu recules, ils t'emmènent dans l'en-but et parfois même derrière la tribune...

« On a dit dès le matin qu'il fallait changer, se transformer, en attaque et en défense. On se met à composer une nouvelle animation offensive. On se dit qu'en défense aussi il faut qu'on invente quelque chose parce qu'avec Jonah Lomu en face, il faut qu'on fasse quelque chose, que l'on coupe les extérieurs. On va chercher la défense, les étouffer, les étrangler. Jonah Lomu n'aura pas le ballon. Alors on invente la « rush défense », on court, on laisse la balle dans les extérieurs.

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« On sait qu'on n'a que trois entraînements pour apprendre tout ça et qu'en plus il faudra qu'on le ressorte devant les All Blacks. Et finalement on va inventer une autre méthode. A notre hôtel, du côté de Windsor, on va dessiner avec du strapping au sol un terrain de rugby de 15 m sur 10 m. Et tous les jours avant et après le petit-déjeuner, avant et après le déjeuner, avant et après le dîner, on répète, en marchant, chacun sur notre placement de jeu, sur notre organisation. On répète ça, de manière quotidienne. Les process on les connaît par cœur. Il suffit qu'il y en ai un qui se trompe et c'est la catastrophe. »

Une symphonie collective

« Le jour du match. Deux minutes avant le coup d'envoi, les All Blacks font le haka. Ils vous racontent leur maillot, leur histoire. Ils maîtrisent la partie émotionnelle. Cette transe collective leur permet de libérer leurs hormones comme la dopamine qui va inhiber les facteurs de stress, leur permet de jouer libérés.

« En face, vous les regardez, vous êtes assez passifs mais vous ne libérez rien du tout. Mais là on s'était demandé ce qu'on pouvait faire. On n'allait pas faire le haka de la poupoule au dernier moment ! On se met en cercle et là, l'un d'entre nous commence à entonner la Marseillaise. Une Marseillaise rien que pour nous. A capela. Et là, il se passe un truc. Les mots de La Marseillaise nous touchent très fortement. Ils révèlent notre maillot, notre destin prend tout son sens. On a touché du doigt cette partie, on a vécu notre transe collective. Je peux vous dire qu'on n'avait pas peur des All Blacks, pas peur de notre nouveau rugby, notre nouveau système. On avait dominé les facteurs de stress de manière positive. Maintenant, il fallait jouer. »

Objectif : rester dans le match

« On ne s'était pas fixé comme ambition de battre les All Blacks car ce n'était pas possible. Les journaux disaient d'ailleurs que pour que l'on batte les All Blacks, il fallait que ces derniers aient un accident de bus en allant au stade... On était réaliste, on s'était donné des objectifs successifs. On s'était dit d'abord qu'à la 20e, il fallait que l'on soit dans le match. Qu'à la mi-temps, on soit dans le match. Qu'à la 60e on soit dans le match.

« A la mi-temps de la première mi-temps, on joue super bien. On mène 10 à 6. Notre système marche bien. On surprend les All Blacks de façon offensive et défensive. On les surprend parce qu'on est ambitieux. On a la main. Et puis Jonah Lomu va toucher le ballon avant la mi-temps et va renverser la moitié de l'équipe avant de marquer. On rentre aux vestiaires : 17 à 10 pour les All Blacks alors qu'ils ne jouent pas très, très bien. Mais Jonah Lomu a fait le job et, sans forcer leur talent, ils mènent.

« Dans ce vestiaire, il va se passer quelque chose de particulier. Je rentre dans le vestiaire et je présente mes excuses pour avoir été sifflé hors jeu. Ibanez et Lamaison me rassurent et ça m'a fait un bien terrible. Pendant ce petit quart d'heure, on s'est tous extrait des pépites, on s'est mis individuellement en capacité d'extraire les atouts de chacun d'entre nous, nos points forts.

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« Quand on est capable de les mettre en évidence, il suffit de regarder notre trésor et de se dire qu'avec ça on peut voyager. A ce moment-là, on est encore dans nos objectifs. Dans l'état physique et psychique avec lequel on est sorti de ce vestiaire, on était juste bien, ce qui est assez rare quand on joue les All Blacks. »

Ne pas leur rendre le ballon

« Début de 2e mi-temps, 46e mn, Jonah Lomu touche le ballon et va marquer un essai sous les poteaux. 24-10. Réunion. Marc Lièvremont nous dit : regarde-bien, ils sont fatigués. On regarde et on n'y croit pas. Mais on s'en fout car ce qu'il vient de nous dire est positif. Et ce qu'on ne savait pas à ce moment-là, c'est que c'était notre dernière réunion de l'après-midi. Car entre la 46e et la 76e, on va jouer et on ne va pas leur rendre le ballon. On ne va pas leur trouver de faille, mais on va les déborder. On va rentrer dans leur camp et Lamaison va mettre un drop, 24-13.

« Ils vont taper le coup d'envoi, mais on ne va pas leur rendre le ballon. On va jouer, même si on est épuisé. Chacun à sa place. Et Lamaison va mettre un 2e drop pour concrétiser notre domination territoriale, 24-16. Ils vont taper le coup d'envoi, mais on ne va pas leur rendre le ballon. On va jouer et on va trouver une première brèche chez les All Blacks. Une brèche, c'est un joueur qui n'est pas à sa place en défense, qui commence à sortir du système. C'est rare chez eux. Lamaison va réussir la pénalité, 24-19.

"On a fait un 0-33 en 30 minutes, plus que ce qu'on a fait en quatre ans !"

Fabien Galthié

 

«  Ils vont taper le coup d'envoi, mais on ne va pas leur rendre le ballon. On va jouer et on va encore trouver une brèche, un nouveau All Black hors jeu ! Pénalité, 24-22. Et là on regarde la pendule, on est à la 60e. Jusqu'à la 76e, on va marquer un premier essai, puis un deuxième grâce à la rush défense. A la 76e, les All Blacks ont toujours 24 et nous, on est passé à 43. On a fait un 0-33 en 30 minutes, plus que ce qu'on a fait en quatre ans !

« Jamais personne ne l'a refait ; aucune équipe n'a mis 43 points aux All Blacks depuis ce jour-là, ni avant. »

L'équipe de France réussira à s'imposer 43-31 dans ce qui reste à ce jour l'une des plus belles performances des Bleus. La France est qualifiée pour la finale contre l'Australie. « Après, on était choqué, on n'a pas trop fait la fête. On est passé de 7 à 200 journalistes. On nous interrogeait sur le match du siècle, on répondait, on était sur notre petit nuage ; on était bien. On a commencé à basculer sur la finale le jeudi. Face à l'Australie : deux jours seulement de préparation. »

Défaite sans surprise, 35-12. La Nouvelle-Zélande terminera à la quatrième place du tournoi.